Roger François Gauthier

Roger-François Gauthier a une double carrière de chercheur et de praticien des politiques éducatives. Inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, il est l'auteur de plusieurs ouvrages relatifs à la question des contenus d'enseignement (dont "Ce que l'école devrait enseigner, pour une révolution des politiques éducatives en France", 2014, Dunod) et à la culture scientifique et technique. Il utilise en particulier l'outil des comparaisons internationales. Il est membre du Conseil supérieur des programmes.

PC 2015 - INTERVENTION

 

"Sport en sciences : l'ardente obligation de parler culture"

 

Jeudi 12 novembre 2015 à 14 h 30

RÉSUMÉ INTERVENTION

Sport et sciences : l’ardente obligation de parler de culture

 

Une société peut être définie, décrite, par le type de savoirs qu’elle considère comme essentiels pour ses membres, communs à tous ses membres ou à une partie d’entre eux.

 

Une fois ces choix faits, ladite société va demander à différents acteurs ou institutions d’enseigner ces savoirs. Au premier chef à l’école, ou à ce qu’on appelle trop légèrement un système éducatif.

 

En quel sens parler de culture ?

 

La grande question est de savoir si tel champ du savoir n’aura de valeur que comme savoir spécialisé, et ne rendant compte qu’à lui-même, ou si ce savoir aura pour celui qui se l’approprie une valeur, une saveur, un sens au-delà de ses frontières, s’il pourra aider son détenteur à penser, à réfléchir au sens du monde et à agir sur lui. C’est le sens le plus ancien du mot de culture, qu’on trouve chez Cicéron, qui désigne cet ensemencement de moi par des savoirs tournés vers la spéculation aussi bien que vers l’action dans la Cité.

 

L’accaparement historique de la culture en France.

 

La difficulté vient du fait que certains savoirs, dans l’histoire des cultures occidentales, se sont longtemps arrogé le sens du monde : successivement des savoirs religieux, puis grammairiens, puis dialectiques, puis, à partir des grandes créations scolaires des Jésuites du temps de la Contre-Réforme, savoirs ou culture dits « littéraires ». Tant est si bien qu’en France en 2015 dire de quelqu’un qu’il n’est pas cultivé se comprend mieux si on pointe le fait que cette personne n’a pas lu Proust que si elle est ignorante des grandes questions de la science ou si elle est étrangère à toute approche du sport. La situation est différente dans des pays où, par exemple, depuis plusieurs siècles, on considère avec Comenius que les Hommes doivent apprendre « non à partir des livres, mais du ciel, de la Terre, des chênes et des hêtres des forêts ». Ce détournement historique a façonné nos cerveaux, nos écoles, nos sociétés.

 

L’abandon social de la préoccupation de culture.

 

De façon plus contemporaine, on peut dire qu’un concept particulièrement informe comme celui de société « de la connaissance » est bien étrange : s’il y a en effet multiplication de savoirs, innombrables, divers, vibrionnant sur mille réseaux, il n’est pas certain que cet amoncellement aléatoire produise pour l’homme cette culture, au sens d’un outillage intellectuel et sensible qui l’aiderait à forger un rapport conscient au monde. C’est particulièrement vrai des savoirs scientifiques.

 

L’école elle-même s’en détourne…

 

On peut encore observer que même l’école, en beaucoup de pays, a délaissé la construction d’un rapport cultivé au monde pour privilégier soit une formation prétendument utilitaire, soit tout ce qui peut permettre de classer les élèves pour qu’ils aillent remplir les postes et les places de sociétés injustes.

 

Urgence des réponses.

 

L’entreprise humaniste n’est rien d’autre que la recherche opiniâtre de tout ce qui peut, face aux ateliers de l’inhumain et du non-sens, amener l’homme à mieux comprendre à la fois lui-même et le monde. Cela signifie qu’une société qui fait place à cette préoccupation doit en même temps se préoccuper de son système scolaire et des différents secteurs de la vie sociale dans lesquels il semble le plus urgent d’installer les garde-fous de la conscience. Or sports et sciences ont par rapport à cette problématique un certain nombre de points communs qui peuvent aider à la réflexion :

 

• Etre parmi les activités les plus mondialisées, les plus présentes dans l’univers de chacun, mais aussi les plus valorisées ou les plus décriées selon le cas ;

 

• Etre des activités qui ne s’intègrent pas naturellement à une culture générale : elles sont souvent le lieu d’hyperspécialisations, et peuvent apparaître comme relativement closes sur elles-mêmes, trouvant leur justification en elles-mêmes plutôt que par rapport à la Cité ;

 

• Elles ont un potentiel considérable au service de l’émancipation humaine, peut-être de façon plus forte encore que la culture dite « littéraire » ;

 

• Elles sont considérées par une tradition dominante de la culture, en France, à la différence d’autres pays, comme n’étant pas indispensables à définir l’homme cultivé, comme étant roturières.

 

• Elles peuvent très facilement être détournées de ce potentiel de culture et d’émancipation, si l’institution républicaine ne se préoccupe pas d’elles, et si au sein de l’école même, on n’est pas au clair sur certains enjeux à leur sujet.

 

C’est sur ces enjeux que nous tenterons de réfléchir. En intégrant sciences et sports à une commune exigence d’intégration dans une culture critique.

 

 

Poitiers les 12 et 13 Novembre 2015